mardi 16 octobre 2012

Séance du 23 octobre 2012

Date et heure: mardi 23 octobre 2012 de 19h à 21h
Lieu: Pôle des Langues et Civilisations: 65 rue des grands moulins - 75013 Paris
Salle: communiquée ultérieurement

Titre: Autour de bí / bíi en yorùbá
Auteur: Nicolas Aubry (INALCO - LLACAN)

La forme bí / bíi (‘comme’, ‘si’, ‘alors que’) du yorùbá manifeste une polysémie intra et inter catégorielle. En termes de catégories, il est susceptible d’un emploi de préposition (1) ou de conjonction (2-3) – cf. fr. Il ment comme un arracheur de dents / il ment comme il respire). Cependant, certaines de ses propriétés constituent des indices forts d’une origine nominale :
  1. La possibilité (très bien décrite par Déchaine (2001:97ff)) pour les verbes à ton lexical bas d’être réalisés à ton moyen devant lui, comme ils le feraient devant leur objet nominal (vs pronominal).
  2. La variante (pour la préposition) bíi dont le prolongement vocalique sur ton moyen rappelle la marque de détermination nominale qui apparaît quand le nom déterminant est à initiale consonantique (ilé e Túndé ‘la maison de Túndé’).
En tant que conjonction, il introduit des propositions similatives (en ‘comme’), mais également des temporelles (simultanéité et antériorité immédiate) (4) et même conditionnelles (5). Dans tous ces emplois de conjonction, un phénomène remarquable se produit : les subordonnées sont soumises à une contrainte, à savoir qu’un élément (glosé ici pv pour " préverbe " (ti ou ṣe dans le cas des temporelles / similatives, bá dans le cas de la conditionnelle)) doit en marquer le verbe. D’un point de vue synchronique, ce phénomène rappelle la présence obligatoire d’un tel " préverbe " dans certains cas d’extraction. D’un point de vue diachronique, on peut le rapprocher du résultat d’une extraction de l’objet du premier verbe d’une série verbale, ce qui peut être vu comme un indice supplémentaire de l’origine nominale de bí (qui serait, historiquement, avec le sens de ‘manière’, cet objet extrait).
Nous insisterons sur l’aspect diachronique, en proposant notamment une étymologie de bí qui nous amène, par reconstruction interne (not. en convoquant d’autres marques de similarité comme báwo ‘comment ?’ ou báyìí ‘ainsi’) et utilisation de données dialectales, à proposer une forme nominale bA. On trouve d’ailleurs, avec bayíí, de possibles attestations de la construction " source " mentionnée supra (i.e., avec série verbale), sans extraction. Un exemple issu du plus célèbre roman yorùbá, Ogbójú Ọdẹ de D. O. Fágúnwà, est donnée en (6).

(1) […] ó tutù bíi àdàbà […]
             3s ê.froid comme colombe
‘Il est calme comme la colombe’

(2) [] wọ́n kìí lọ sí kíláàsì bí ó ṣe yẹ láti kọ́ àwọn ọmọ wọ̀nyí 
             3p. neg.hab aller prep classe comme 3s pv convenir pour enseigner pl enfant dem.pl
 ‘[...] ils ne vont pas en classe comme il convient pour enseigner à ces enfants.’

(3) Ǹjẹ́ ìwọ ọ̀rẹ́ mi tí o kò mọ bí o ṣe lè bá ọmọ rẹ sọ̀rọ̀ [...]
     int 2s.ind ami 1s rel 2s neg savoir comment 2s pv pouvoir faire.avec enfant 2s parler
  ‘Est-ce que toi mon ami qui ne sait pas comment tu peux parler avec ton enfant [...]’

(4) Bí ó ti dé Ogbómọ̀ṣọ́ , o lọ kí Baálẹ̀ Oyèwùnmí
Quand 3s pv arriver Ogbomosho / 3s aller saluer chef Oyewunmi
‘Quand il est arrivé à Ogbomosho, il est allé saluer le chef Oyewunmi’

(5) Bí o bá ń fẹ́ oògùn sí àìsàn rẹ [...]
Si 2s pv imp vouloir remède prep maladie 2s
‘Si tu veux un remède à ta maladie […]’

(6) Ó dùn mí pé ìyàwó mi e báyìí lọ [Ogbójú Ọdẹ, p. 46]
3s faire.mal 1s épouse 1s faire ainsi partir
‘Cela m’a fait mal que mon épouse parte de cette manière’ 

Références
Abraham, Roy C. 1949. Dictionary of Modern Yoruba. Londres : University of London Press.
Bamgboṣe, Ayọ. 1966. A Grammar of Yoruba. Cambridge: Cambridge University Press.
Déchaine, Rose-Marie. 2001. « On the left edge of Yorùbá complements ». Lingua vol. 111, no2, pp. 81-130.


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