Lieu: Pôle des Langues et Civilisations: 65 rue des grands moulins - 75013 Paris
Salle: communiquée ultérieurement
Titre: Autour de bí / bíi en yorùbá
Auteur: Nicolas Aubry (INALCO - LLACAN)
La forme bí / bíi (‘comme’, ‘si’, ‘alors que’) du yorùbá manifeste une polysémie intra et inter catégorielle. En termes de catégories, il est susceptible d’un emploi de préposition (1) ou de conjonction (2-3) – cf. fr. Il ment comme un arracheur de dents / il ment comme il respire). Cependant, certaines de ses propriétés constituent des indices forts d’une origine nominale :
- La possibilité (très bien décrite par Déchaine (2001:97ff)) pour les verbes à ton lexical bas d’être réalisés à ton moyen devant lui, comme ils le feraient devant leur objet nominal (vs pronominal).
- La variante (pour la préposition) bíi dont le prolongement vocalique sur ton moyen rappelle la marque de détermination nominale qui apparaît quand le nom déterminant est à initiale consonantique (ilé e Túndé ‘la maison de Túndé’).
En tant que conjonction,
il introduit des propositions similatives (en ‘comme’), mais
également des temporelles (simultanéité et antériorité
immédiate) (4) et même conditionnelles (5). Dans tous ces emplois
de conjonction, un phénomène remarquable se produit : les
subordonnées sont soumises à une contrainte, à savoir qu’un
élément (glosé ici pv pour " préverbe " (ti
ou ṣe dans le cas des temporelles /
similatives, bá dans le cas de la conditionnelle)) doit en
marquer le verbe. D’un point de vue synchronique, ce phénomène
rappelle la présence obligatoire d’un tel " préverbe "
dans certains cas d’extraction. D’un point de vue diachronique,
on peut le rapprocher du résultat d’une extraction de l’objet du
premier verbe d’une série verbale, ce qui peut être vu comme un
indice supplémentaire de l’origine nominale de bí (qui
serait, historiquement, avec le sens de ‘manière’, cet objet
extrait).
Nous insisterons sur
l’aspect diachronique, en proposant notamment une étymologie de
bí qui nous amène, par reconstruction interne (not. en
convoquant d’autres marques de similarité comme báwo
‘comment ?’ ou báyìí ‘ainsi’) et
utilisation de données dialectales, à proposer une forme nominale
bA. On trouve d’ailleurs, avec bayíí, de
possibles attestations de la construction " source "
mentionnée supra (i.e., avec série verbale), sans
extraction. Un exemple issu du plus célèbre roman yorùbá,
Ogbójú Ọdẹ de D. O. Fágúnwà, est
donnée en (6).
(1) […] ó tutù bíi àdàbà […]
3s ê.froid comme colombe
‘Il est calme comme la colombe’3s ê.froid comme colombe
(2) […]
wọ́n kìí lọ sí kíláàsì bí ó ṣe yẹ láti kọ́ àwọn ọmọ wọ̀nyí
3p. neg.hab aller prep classe comme 3s pv convenir pour enseigner pl enfant dem.pl‘[...] ils ne vont pas en classe comme il convient pour enseigner à ces enfants.’
(3) Ǹjẹ́ ìwọ ọ̀rẹ́ mi tí o kò mọ bí o ṣe lè bá ọmọ rẹ sọ̀rọ̀ [...]
int 2s.ind ami 1s rel 2s neg savoir comment 2s pv pouvoir faire.avec enfant 2s parler
‘Est-ce que toi mon ami qui ne sait pas comment
tu peux parler avec ton enfant [...]’
(4) Bí ó ti dé Ogbómọ̀ṣọ́ , o lọ kí Baálẹ̀ Oyèwùnmí
Quand 3s pv arriver Ogbomosho / 3s aller saluer chef Oyewunmi
‘Quand il est arrivé à Ogbomosho, il est allé
saluer le chef Oyewunmi’
(5) Bí o bá ń fẹ́ oògùn sí àìsàn rẹ
[...]
Si 2s pv imp vouloir remède prep maladie 2s
‘Si tu veux un remède à ta maladie […]’
(6) Ó dùn mí pé ìyàwó mi ṣe báyìí lọ [Ogbójú
Ọdẹ,
p. 46]
3s faire.mal 1s épouse 1s faire ainsi partir
‘Cela m’a fait mal que mon épouse parte de
cette manière’
Références
Abraham, Roy
C. 1949.
Dictionary
of
Modern
Yoruba.
Londres :
University of
London Press.
Bamgboṣe, Ayọ.
1966. A
Grammar
of
Yoruba.
Cambridge:
Cambridge
University Press.
Déchaine, Rose-Marie.
2001. « On
the left
edge of
Yorùbá
complements ».
Lingua vol. 111, no2, pp. 81-130.